Au nom du père, du fils et des esprits : à la rencontre de Jean-Marie Tjibaou

C’est le cheminement d’un homme qu’il nous est permis de comprendre dans le film Au nom du père, du fils et des esprits, en compétition officielle au Fifo. 
Suivant son fils, Emmanuel Tjibaou, on découvre les différentes facettes de cet homme politique qui a marqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, mais dont le parcours reste méconnu. Le film s’inscrit aussi pleinement dans le présent en soulevant des interrogations majeures au moment où le peuple calédonien est appelé à décider de son avenir.

La poignée de main de l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et du loyaliste Jacques Lafleur le 26 juin 1988, lors des accords de Matignon, et l’assassinat du grand homme politique kanak un an plus tard sont restés gravés dans les mémoires.

Mais qui était vraiment Jean-Marie Tjibaou ? À travers ce film, Au nom du père, du fils et des esprits, son fils Emmanuel a voulu lever le voile sur sa personnalité, « interroger son cheminement ».

« Mes enfants grandissent et ils ont besoin de savoir qui était mon père, comme tous les enfants de Nouvelle-Calédonie ont besoin de le savoir, d’ailleurs », estime-t-il. Pour cela, Emmanuel se propose d’être notre guide : « Je ne voulais pas que ma parole ou celle des indigènes interrogés passe par le tamis de quelqu’un d’autre. »

C’est aussi l’occasion pour lui de recueillir la parole des gens qui ont côtoyé son père au séminaire, au Vanuatu, dans le Larzac, des amis, des compagnons de route, des membres de la famille à qui il n’a jamais eu l’occasion de poser ces questions-là. « J’ai utilisé le micro qu’on me donnait », reconnaît-il en souriant, ce qui lui a permis « d’apprendre beaucoup de choses ».
 

Un éclairage livré avant le référendum sur le Caillou

On en apprend encore davantage, aussi bien sur l’aspect public que sur la vie privée de l’homme ; on découvre ainsi comment Jean-Marie Tjibaou a rencontré sa femme, comment il s’est lancé en politique, quels étaient ses rapports avec ses frères… À travers l’homme, on découvre ou redécouvre l’histoire troublée et violente du Caillou.

Emmanuel Tjibaou a tenu à ce que le film sorte en Nouvelle-Calédonie avant le référendum d’autodétermination du 4 novembre 2018, « pas pour orienter le débat, mais pour apporter un éclairage humain, pour qu’on ne reste pas bloqué sur le plan politique. Le documentaire montre une personne pleine de questionnements et beaucoup de gens se sont reconnus là-dedans. » Il raconte même avoir reçu des témoignages de Calédoniens qui ont changé d’avis grâce au film, en entendant cette parole jusque-là inaudible.

C’est aussi le fruit d’un grand travail de recherche d’archives, mené à l’Ina par la réalisatrice Dorothée Tromparent. Sans image, « on peut résumer l’histoire en deux lignes » ; ces archives « donnent de la chair aux événements » et montrent, encore une fois, qu’il s’agit avant tout d’un "cheminement, de questionnements perpétuels. Avec internet, on pense parfois avoir le monde entre nos mains, mais non, l’humain, c’est complexe ».

Le film aura-t-il un retentissement similaire à celui qu’il a eu en Nouvelle-Calédonie ? Emmanuel Tjibaou se dit déjà « content que le documentaire ait été retenu en sélection, parce qu’il y a une histoire entre mon père et la Polynésie française - les indépendantistes, dont Oscar Temaru,l’ont aidé à obtenir l’inscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires à décoloniser, en 1986, notamment en l’hébergeant à Harlem ».

Et il en est persuadé, l’histoire, les enjeux abordés dans le film vont parler aux Polynésiens. Emmanuel Tjibaou opère ainsi un rapprochement avec PouvanaaaOopa : « Ils étaient en avance, bien au fait de nos insularités et des mécanismes par lesquels l’État français instaurait des relations de domination. »

Pour lui, Jean-Marie Tjibaou fait partie de ces hommes qui ont une « vision et qui se mettent en marche pour que le réel se transforme ». C’est ce trajet qui nous est donné à voir dans ce documentaire aussi instructif que sensible.