« Betsimisaraka » Nouveau recueil de poèmes du Mahorais Madi ABDOU N' TRO

MADI ABDOU N' TRO , AUTEUR DU LIVRE LES BETSIMISARAKA
 Madi ABDOU N'TRO parle, dans son nouveau receuil de poèmes, " BETSIMISARAKA ", de la femme,de tradition arabo-musulmane de l'Archipel des Comores et de certaines provinces de Madagascar , devenue un corps et un visage obéissant ,de la prostitution,de la décadence du corps.
INTERVIEW PAR E. TUSEVO


 Madi ABDOU N'TRO parle, dans son nouveau receuil de poèmes, " BETSIMISARAKA , Nombreux qui ne se désunissent pas ", de la femme,de tradition arabo-musulmane de l'Archipel des Comores et de certaines provinces de Madagascar , devenue un corps et un visage obéissant ,de la prostitution,de la décadence du corps.

INTERVIEW

PAR

 EMMANUEL TUSEVO : Quand vous m’avez parlé de la parution de votre livre, je m’attendais à un livre sur Mayotte. Pourquoi cet intérêt pour Madagascar et la condition des femmes de Betsimisaraka ?
 
MADI ABDOU N’TRO : Non. Il s’agit bien d’un livre sur Mayotte, un territoire français peuplé de mahorais et ayant comme principaux parlers le « Shimaoré » et le « Kibushi », ce dernier étant un dérivé de la langue malgache, le « Malagasy ». En fait dans ce nouveau livre de poésie, j’ai voulu aborder concrètement le thème de la condition féminine dans l’ensemble de l’Océan indien. Car, la thématique de la femme est un sujet qui  me passionne depuis quelques années. D’ailleurs mon premier livre « TROPIQUES, quatrains et vers libres » (L’harmattan, 2011) était déjà consacré à la femme mahoraise. Madagascar a constitué un point de départ de mon projet d’écriture car de nombreux malgaches se sont installés dans l’ensemble des îles de l’océan indien. Choisir le terme « BETSIMISARAKA » est pour moi un retour à mes sources, à mes origines malagasy. Ensuite je suis beaucoup frappé par la condition de vie des femmes malgaches qui n’ont que leur corps à donner « aux hommes de passage » pour acheter leur pain. Ces situations se rencontrent aussi dans nos îles, à Mayotte et dans l’archipel des Comores. Par ailleurs, ce livre est un retour à mes sources, à ma terre natale. Dans cette œuvre,  je dénonce toutes formes d’injustices exercées sur le corps des femmes. Si bien qu’avec « BETSIMISARAKA », j’ai souhaité évoquer la douleur des corps sous toutes ses formes, ces douleurs vécues par les femmes de l’Océan indien : de Mayotte, des Comores et de Madagascar.
Enfin amoureux de la femme insulaire, ce livre est un hymne  à sa beauté, à son intelligence, à sa souffrance, euh, à ses souffrances, à sa place dans la société moderne. Ce livre est une conversation, un dialogue avec son corps qui semble lui échapper. Sans la femme, il n’y a point de vie, point de douceur dans notre vie. Sans la femme, la vie n’est pas." 
 
 EMMANUEL TUSEVO : Qui sont les Betsimisaraka?
 
MADI ABDOU N’TRO : Tout d’abord les BETSIMISARAKA sont un peuple de Madagascar. Ils occupent une grande partie de l’île, dans les régions principalement de Manajary jusqu’à celle d’Antalaha. En fait ce peuple constitue un regroupement de plusieurs communautés que les circonstances historiques ont unifié dès le 18 siècle. Plus simplement,  leur chef, qui s’appelait Ratsimilaho était à l’origine de la réunification de ces différentes communautés  et depuis,  ces gens ne se sont jamais séparés, restant solidaires. Mon livre n’est pas là à proprement refaire l’histoire des BETSIMISARAKA. Il constitue d’une part un hommage à ces communautés ; elles qui nous enseignent une forme de vivre ensemble. Cette forme de vivre ensemble ne se retrouve pas dans d’autres pays de l’Océan indien. Et de manière singulière, on peut constater que les femmes ayant reçu l’enseignement des BETSIMISARAKA, ont importé quelques signes de vie dans notre département notamment. Par exemple , on peut voir que le mouvement des femmes chatouilleuses dans les années 1970 à Mayotte, ayant eu pour leader notamment Zaïna Meresse après un long séjour à Madagascar, avaient vocation à travers leur combat de réduire l’influence des autres îles des Comores sur Mayotte et arrimer cette dernière à la république française. Ces femmes, me semble t – il , ont véhiculé une certaine  sagesse des BETSIMISARAKA ». Nous le voyons à chaque moment de notre vie qu’elles sont nombreuses à ne pas se désunir lorsqu’il s’agit de porter des combats pour la défense des valeurs humanistes telles que la liberté et l’esprit d’entraide. Tout cela est caractéristique de la société musulmane dans l’Archipel des Comores.

EMMANUEL TUSEVO : Que signifie  le sous titre " Nombreux qui ne se désunissent pas" ?
 
MADI ABDOU N’TRO :   BETSIMISARAKA est un mot pluriel. Il n’existe pas de traduction fidèle officiellement. Je propose cependant modestement la mienne à travers le sous -  titre « Nombreux qui ne se désunissent pas ». Notre vie mahoraise est empreinte des « BETSI ». Ma conviction est que nous avons tous à Mayotte quelque chose de Betsimisaraka. Il suffit de voir la manière dont les mahorais accueillent et fondent des familles avec des gens venus de toute la région : des malgaches, des comoriens, des mozambicains. Ces peuples se sont toujours aimés et s’aiment au quotidien. Ils se marient entre eux. Au gré des velléités politiques de leurs leaders, ils n’ont jamais voulu être séparés car les liens du sang sont plus forts que la raison nègre.
 
EMMANUEL TUSEVO : -- Comment avez vous procédé pour écrire ce livre ?

MADI ABDOU N’ TRO : - Comme d’habitude, je suis un écrivain qui a besoin du temps pour écrire. Ce livre je l’ai commencé en 2006 à la suite d’un voyage à Madagascar. J’ai visité la Grande île en voiture du nord au sud à bord un taxi. Au soir tombé, je me suis familiarisé avec la vie au quotidien des Femmes et des « hommes pousse-pousse », embarquant à bord de leurs engins des jeunes filles pour une  brève nuit. Ensuite j’ai  aussi beaucoup lu ces dernières années sur le pays, sur ce peuple et sur l’histoire de nos îles. Enfin, je suis foncièrement un amoureux des conditions des femmes dans nos territoires. Mais attention, je n’ai pas vocation à faire l’Histoire des « gens » de nos îles. Je suis un poète habité par la femme et consacrant à travers mes mots, la beauté des corps.
 
EMMANUEL TUSEVO : -  Vous parlez de la femme de tradition arabo- musulmane de l’Archipel des Comores et de certaines provinces de Madagascar. Mais on sait qu’à Madagascar, il y a beaucoup de chrétiennes et les femmes malgaches qui se prostituent notamment à Mayotte ne sont pas nécessairement arabo musulmane ?
 
MADI ABDOU N’TRO : - Il est vrai. Mais en réalité elles sont nombreuses à être  de père musulman ou de mère musulmane. Aussi, la question de la confession est un sujet qui n’intéresse point leurs clients. En fait, je me suis intéressé à la condition des femmes de statut musulman de ces pays car l’islam rend illicite ces genres de pratiques, lesquelles sont devenues à notre grand désespoir, des scènes imprégnant la société.
MADI ABDOU N' TRO
EMMANUEL TUSEVO : De quoi avez-vous voulu parler exactement dans ce livre ?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Dans ce nouveau livre, j’aborde des thèmes importants portant sur le corps féminin. Je décris son corps, ses désirs inavoués et cachés.
Je résume ses angoisses, ses plaisirs sexuels. Je rends hommage à ses combats et vitupère contre l’oppression exercée sur son corps. Mais la femme est une traîtrise, une personne dangereuse, venimeuse capable de détourner la raison pour faire changer le cours de l’histoire de tout un pays. Ce dernier livre est un discours contre toute entreprise de phallocratie et de raison supérieure ou dominante. Ce sont toutes ces choses là que je raconte dans BETSIMISARAKA.

EMMANUEL TUSEVO : Que voulez-  vous signifier en écrivant que cette femme est devenue un corps et un visage obéissant ?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Parfois il m’arrive de penser ce que j’aurais été dans un corps de femme, obligé de vendre mon corps pour  vivoter. Et en m’imprégnant de son corps au soir avant de dormir je revois à chaque fois des corps qui n’ont plus de bouche, ayant perdu la parole et incapable de s’opposer à tout. Ces femmes sont devenues des esclaves de corps. Elles sont pour ainsi dire un corps et un visage obéissant à toutes les toquades des passants de nuit. 
 
EMMANUEL TUSEVO : - Pourquoi vous dîtes "  loin des velléités politiques " ?
 
MADI ABDOU N’ TRO :- Parce que ces pratiques là, de tourisme sexuel, d’agressions sexuelles sans jugement de justice, sont interdites par le droit et susceptibles de sanctions pénales. Or, le droit ne semble plus être capable de répondre par des sanctions contre leurs auteurs. Quant aux responsables politiques, je pense qu’ils ont un devoir de veiller à ce que des telles choses ne s’installent pas ad vitam aeternam dans notre société. Or, des décisions fortes, il n’en est rien. Au contraire nos leaders préfèrent prendre des siestes à l’ombre des orangers, fermant les yeux. En faisant de la sorte, ils entretiennent un système quasi féodal dont la seule vocation est de faire du corps de la femme un objet de commerce dans un pays en proie à la pauvreté.

EMMANUEL TUSEVO : Vous décrivez divers visages de la prostitution ou de la décadence du corps ?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Oui et ils sont nombreux. Ce sont des moments d’intimités cachées que je révèle dans chaque page. Ces sont des portraits des personnages connus et inconnus, des femmes vécues, rencontrées, racontées, détestées. Je raconte leur histoire. Je décris ou je dirais , je mets  à jour leur histoire.
 
EMMANUEL TUSEVO : Quelle est votre analyse sur ces VAHAZAS, ces blancs, ces étrangers qui viennent abuser des femmes malgaches et puis, peut- on parler d’abus puisque ces femmes y trouvent leur compte. N’est- ce pas la rencontre de la prétendue richesse de ces blancs et la misère crasse de ces femmes ?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Euh...je pense que c’est bien triste cette situation que vivent nos sociétés modernes où des gens abusent de leur situation pour satisfaire des besoins sexuels. Cet abus est grave et dangereux. Grave parce que tout se passe sous nos yeux. Nous sommes incapables d’apporter des solutions aux maux qui gangrènent nos sociétés. Dangereux parce que ce sont des vies qui sont prises à cause des maladies sexuellement transmissibles. Ensuite, les femmes ne sont en rien responsables de cette situation. C’est à la société qu’il faut en vouloir car c’est elle qui fabrique cette désolation. Enfin, mon sentiment est que c’est aux pays différents d’entrer en dialogue à travers une diplomatie forte et concrète pour installer des sanctions fortes,  pourquoi pas, financières  contre les auteurs de tourisme sexuel dont les « Vahazas  ». La France connaît ce problème, tout comme ses territoires français d’outre-mer.  Je pense qu’il est grand temps d’arrêter le carnage.
 
EMMANUEL TUSEVO :   Vous utilisez une belle expression « la femme est DESHABITEE PAR SON CORPS ? » Comment  vous a- t- elle été inspirée?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Je ne sais pas. C’est la femme qui est en moi qui me l’a révélé, probablement pour qu’éclate l’amande qui est en moi. Que nous entendions toute sa douleur.

EMMANUEL TUSEVO : Vous dîtes : « dans cette folle quête pour la chair, nombreux ne se désunissent pas. » Qu’entendez- vous par ça?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Les « nombreux qui ne se désunissent pas » ce sont les Hommes, affables de chair féminin. Ce sont aussi les femmes qui ne peuvent pas non plus renoncer à cette quête d’hommes parce qu’elles se sont rendues compte que pour survivre, seule la prostitution pourrait les sauver de leur étendue misère.

EMMANUEL TUSEVO : - Il y a des liens qui commencent par la prostitution et qui finissent par des mariages ?

MADI ABDOU N’ TRO : Je vous l’accorde. Mais de tels liens finissent souvent en  faits divers horribles sur les plages malgaches où  des corps blancs se font brûler à coup de revanche. A Mayotte, des liens s’installent mais ce sont des liens d’argent surtout. Point d’amour sincère ni durable pour celui ou celle qui voudrait y essayer. Aux Comores, en revanche, il semble que ces liens nés d’une relation de la sorte résistent aux aléas de la vie.

EMMANUEL TUSEVO : - Pour terminer, qu’est ce qui d’autre vous semble important de mettre en exergue au sujet de ce livre ?
 
MADI ABDOU N’ TRO : Mon livre pourrait se résumer comme le refus de suivre ceux qui exigent que l’on renonce à ce qui constitue le plus cher de notre être. Face aux diatribes des vents contraires, ce  livre est un factum pour le dialogue entre les peuples de l’Océan indien, contre la discorde et pour la beauté du corps féminin. Derrière l’écrasement des consciences, le poète se doit d’inviter tout Homme à fuir sa petitesse de vie et sa misère prochaine. BETSIMISARAKA est un dialogue pour les cultures « malgacho-comoro-mahorais ». C’est pour cela que je dis que c’est une poésie fondamentale.

Lien internet EDITIONS L ' HARMATTAN : BETSIMISARAKA - Nombreux qui ne se désunissent pas - Poèmes, Madi Abdou N'Tro